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Ahanements d'octets austraux


Puisqu'on parle de l'armée et des scénarios à la Confédération des États du Sahel…

Merci à @Jogany, complice de longue date que j'ai un peu de mal à désigner sous son vrai nom de Joan Razafimaharo, de m'autoriser à reproduire un texte qui risquerait sinon de disparaître dans les mystères des algorithmes de Facebook.

« Pas une seule journée sans explosion de gaz lacrymogène dans mon quartier. Nous sommes maintenant en 2025 mais un demi-siècle plus tôt, un autre jeune observait ici même, dans les rues d’Antananarivo, la naissance d’un espoir collectif.

Aujourd’hui, encore moins de Malgaches savent que Thomas Sankara a arpenté ces rues au cœur de l’année incandescente de 1972. Pourtant, les archives militaires et les témoignages de ses compagnons d’armes confirment l’influence de cette expérience. Ce séjour fut une transmission par imprégnation : celle d’une conscience collective forgée au contact d’un peuple en révolte contre l’injustice, mais soucieux de sa cohésion nationale. »

Je n’ai pas appris à Madagascar comment faire une révolution, mais j’y ai appris pourquoi il faut la faire.
— (propos attribués à Sankara par ses compagnons de promotion, recueil oral, 1987)

« L’année 1972 marque à Madagascar l’un des tournants les plus décisifs de son histoire contemporaine. Le régime du président Philbert Tsiranana, issu de la Première République, vacille sous la pression d’un mouvement social d’une ampleur inédite : étudiants, lycéens, ouvriers et fonctionnaires dénoncent la dépendance persistante envers la France, les inégalités territoriales et la crise de légitimité d’un pouvoir jugé néocolonial.

C’est précisément dans ce contexte de désobéissance civique et de recomposition militaire que Sankara, alors âgé de 22 ans, suit sa formation à l’Académie militaire d’Antsirabe, l’une des institutions régionales francophones où étaient envoyés les jeunes officiers africains dans le cadre de la coopération militaire. »

« Les biographes de Sankara (notamment Ernest Harsch, Thomas Sankara: An African Revolutionary, 2014 ; Bruno Jaffré, Thomas Sankara, l’espoir assassiné, 1997) s’accordent à dire que ce séjour malgache fut déterminant dans sa maturation intellectuelle. Sankara y découvre un pays qui, malgré ses liens persistants avec l’ancienne puissance coloniale, connaît une effervescence idéologique rare : lectures marxistes, débats sur le non-alignement, réflexions sur la réforme de l’éducation et la fonction de l’armée.

À Antsirabe, les jeunes officiers malgaches et étrangers assistent de près à la contestation. Ils voient une jeunesse instruite réclamer une seconde indépendance. Sankara fréquente des étudiants de l’Université d’Antananarivo, participe à des discussions politiques et lit abondamment Frantz Fanon, Lénine et Mao Zedong, dont les brochures circulaient clandestinement. Cette immersion dans une société en mouvement lui révèle la portée concrète de la lutte anticoloniale : ce n’est pas un combat théorique, mais un enjeu de gouvernance, de justice et de souveraineté. »

« Ce passage à Madagascar est souvent présenté comme le moment où Sankara passe de l’observation à la conviction. Il comprend que l’armée africaine, héritée du modèle colonial, ne peut être neutre : elle doit se redéfinir comme force populaire et non comme instrument d’oppression.

Selon des témoignages recueillis par Bruno Jaffré et confirmés dans des entretiens croisés avec d’anciens élèves officiers, son séjour dans le Sud aurait profondément marqué Sankara. Il aurait confié à ses camarades : Ce peuple n’a rien, mais il partage tout. Voilà ce qu’on appelle dignité.

Le Grand Sud devient pour lui une leçon d’économie politique. Au début des années 1970, la région subissait déjà l’un de ses cycles de kéré, ces famines périodiques liées à la sécheresse et à la dégradation des sols. Les rapports de la FAO et du PNUD (1971–1973) signalent des taux de malnutrition dépassant 40 % et une perte massive de cheptel. Sankara observe alors un territoire qui reste pauvre non par manque de ressources, mais par absence de justice distributive et d’investissement structurel. »

« Ce qu’il retiendra de Madagascar, c’est que la décolonisation ne se limite pas à chasser l’ancien maître, mais à changer le rapport entre gouvernants et gouvernés. Son projet de Révolution démocratique et populaire au Burkina Faso, en 1983, en portera la trace : promotion du malgache comme du mooré dans les espaces publics, alphabétisation de masse, mobilisation féminine, et rejet de la dépendance économique.

Dans une Afrique où les jeunes générations cherchent encore à concilier souveraineté, justice et participation, ce passage par Madagascar résonne comme une métaphore : avant de devenir une voix continentale, Sankara fut le témoin attentif d’une révolution insulaire — celle d’un peuple qui, malgré la pauvreté et la fragmentation, refusait de se taire. »

« Je saisis complètement les enjeux des politiciens dans leur course contre la montre pour respecter, coûte que coûte, l’agenda dans lequel ils se sont engagés. Mais la militarisation de leur réponse face aux mécontentements ne fera qu’exacerber une population déjà aux abois.

La lutte pour la justice sociale est une cause belle et nécessaire. Elle réveille les plus hautes vocations et doit nourrir chaque décision publique, chaque usage de nos ressources communes. Les élus ont contracté un devoir de redevabilité, et les corps armés ont prêté serment de protéger.

Le peuple, dans sa jeunesse, a une nouvelle fois grondé.

Maintenant, écoutez-les. »

« Thomas Sankara, l'homme qui allait changer l'Afrique ». À écouter sur Radio France.

Dernière mise à jour :
11/10/2025 19:28

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