Mama Africa
Ce week-end, Jogany s'est pliée en quatre... Profitez-en généreusement.
Si vous donnez, demandez-vous quand-même si vous ne le faites pas juste pour vous donner bonne conscience :
Pourquoi les médias persistent-ils à dire que les pays africains se sont vu "accorder l'indépendance par leurs anciens maîtres coloniaux", et non qu'ils ont combattu et versé leur sang pour obtenir leur liberté ? Pourquoi Angelina Jolie et Bono bénéficient-ils de toute l'attention médiatique pour leur travail en Afrique alors que Nwankwo Kanu ou Dikembe Mutombo, tous deux africains, ne sont pratiquement jamais mentionnés ? Comment se fait-il que l'on s'intéresse plus aux bouffonneries de cow-boy auxquelles se livre un ancien diplomate américain de second rang au Soudan qu'aux nombreux pays africains qui y ont envoyé troupes et vivres et ont consacré d'interminables heures à négocier un règlement entre toutes les parties impliquées dans cette crise ?
Il y a deux ans, j'ai travaillé dans un camp de personnes déplacées au Nigeria, les survivants d'un soulèvement qui avait entraîné la mort de 1 000 personnes et le déplacement de 200 000 autres. Fidèles à leur habitude, les médias occidentaux parlèrent longuement des violences, mais pas du travail humanitaire que les autorités locales et nationales accomplirent - avec très peu d'aide internationale - en faveur des survivants. Des travailleurs sociaux ont consacré leur temps et, dans de nombreux cas, donné leur propre salaire afin de venir en aide à leurs compatriotes. Ce sont eux qui sauvent l'Afrique, et, de même que pour beaucoup d'autres à travers le continent, leur travail ne trouve aucun crédit à l'extérieur.
Le mois dernier, le groupe des huit pays les plus industrialisés s'est réuni en Allemagne avec une brochette de célébrités afin de discuter, entre autres sujets, de la façon de sauver l'Afrique. J'espère qu'avant le prochain sommet du G8 le monde aura enfin compris que l'Afrique ne veut pas être sauvée. L'Afrique veut que le monde reconnaisse qu'au travers de partenariats équitables avec d'autres membres de la communauté internationale elle sera elle-même capable d'une croissance sans précédent.
(Version originale chez le Washington Post).
Sur le même sujet, Joshua Goldstein relève que se mêler de ce qui "ne vous regarde pas" a quand même quelque vertu.
Et on peut comprendre que l'opinion publique libyenne se sente méprisée (sur ce sujet, je crois que j'ai intérêt à préciser ma pensée : libérer les infirmières bulgares et le médecin palestinien était certainement légitime, mais on aurait pu agir plus discrètement : liberté provisoire sous contrôle judiciaire, suivi d'un pourvoi, au lieu de montrer aussi crûment que l'on considère tout ce qui a été fait à Tripoli comme une bouffonnerie).
C'est comme certains slashdotters qui considèrent qu'il nous faut de l'eau et des préservatifs, mais pas de connectivité internet, ça m'agace. La technologie en Afrique, ce n'est pas toujours facile, mais la rareté des ressources amène à être très astucieux, et ce ne sont pas les opérateurs de taxiphones de rues qui me démentiront. (Et si le déploiement de technologies sans-fil est tellement en avance ici, c'est pour des raisons que la France découvre par moments).
Chacun a ses mauvaises habitudes : le Nord a du mal à rompre avec les siennes, l'Afrique ne fait pas assez pour démultiplier ses propres initiatives privées. Mais les slashdotters qui estiment qu'il nous faut juste de l'eau et des préservatifs devraient noter que la majorité des Africains sondés par le New York Times souligne qu’il leur est plus difficile de trouver un enseignement de qualité pour leurs enfants que d’assurer leurs besoins alimentaires.
Quand nous serons grands... les poules auront des dents. Ouah, ça commence ! Comme quoi, il faut éviter de se poser en donneur de leçons, ce qui m'oblige à conclure là.
Post-Scriptum : n'imaginez pas au vu du titre de ce billet que je qualifie Jogany de Mama...